15 septembre 2006

 

In memoriam R.P. Etienne VAN den STRAETEN
''Nous lui devons le succès d'aujourd'hui''. (Antoine Mudakikwa).

 

Bonjour à tous (les anciens collégiens),
Je m'appelle Faustin RWAMFIZI Nyangezi. J'ai étudié au Collège Notre Dame de la Victoire de Bukavu, en République Démocratique du Congo, actuellement Alfajiri, de 1957 à 1970. J'y ai donc fait mon école primaire et secondaire ; ce dont je remercie infiniment le Seigneur : ce que je suis aujourd'hui, je le dois au Collège et tout particulièrement au R.P. Etienne Van den Straeten.
J'ai appris le décès du R.P. Etienne Van den Straeten quelques heures après qu'il est survenu. Le choc de cette triste nouvelle a été atténué dans le profond de mon cœur par le souvenir de notre dernière rencontre, une année avant sa mort, en octobre 2004.
C'était un dimanche. Il avait passé une demi-journée à la maison. Nous avions partagé ensemble le repas de midi ; repas constitué entre autres aliments de " bisamunyu, maharagi et sombe ". Nous avions tous mangé de bon appétit. Il a refusé poliment le verre de bière que je lui ai proposé, se contentant d'une boisson gazeuse locale. Mon épouse et mes enfants étaient très contents de voir un ancien surveillant, préfet et professeur de " papa ". Ma fille cadette -alors âgée de 7 ans- qui me considère comme un fossile aussi vieux que l'Australopithèque, n'en revenait pas ! Elle interrogeait sa mère : "Vraiment, le papa (sic !) prêtre a connu mon père tout petit ? Et lui, il a quel âge "? Elle restait bouche bée quand sa mère lui disait que le R.P. Etienne Van den Straeten avait 80 ans.
Ma première rencontre avec le R.P. Etienne Van de Straeten date de septembre 1957.
Je venais d'être admis au Collège Notre Dame de la Victoire comme élève interne. J'arrivais juste de mon Nyakarenzo natal, un petit village du territoire de Shangugu. Ce village de quelques centaines d'habitants était (est toujours) situé à une dizaine de kilomètres de Bukavu, en direction de la paroisse de Mibirizi dans ce qui s'appelait encore Ruanda-Urundi.
Etre admis à l'époque à l'internat du Collège relevait du miracle pour les Africains. Nous étions sous la tutelle belge pour le mandat de l'O.N.U. en ce qui concerne le Ruanda-Urundi et sous la colonisation belge pour le Congo belge. L'admission dans une école destinée prioritairement aux enfants belges était très sélective pour les Noirs, l'enseignement étant à l'époque élitiste pour nous Africains. Il fallait être enfant d'évolué comme les Rwandarugari, Bwanakweri, Rwasamanzi ou de chef coutumier à l'instar des Ndeze, Kalinda, Biniga (mon père etc.). Ou encore être enfant d'homme d'affaires prospère comme Kimbulu Jean, fils de Mukonde Lazare, riche commerçant de Kadutu d'avant l'indépendance.
Un long processus précédait l'admission du petit africain candidat à l'internat.
C'est ainsi que des Jésuites blancs étaient venus à l'improviste chez nous à Nyakarenzo pour voir comment nous vivions. Ils avaient, paraît-il, visité toute la maison et regardé l'immense concession qui était la nôtre. Peu de temps avant cette visite, j'avais eu droit à vivre et dormir dans la grande maison " maçon " de mon père. Il y habitait, bien évidemment avec ma mère. En fait, ma belle-mère puisque mon père s'était remarié après la mort de ma mère biologique survenue alors que je n'avais que trois ans. Mon père avait dû éprouver une trop grande pitié pour moi en me voyant orphelin à trois ans. C'est comme cela que j'explique sa volonté de me mettre à l'internat au Collège, une très bonne école où j'allais recevoir une instruction et une éducation de qualité chez les Jésuites dont la réputation dans ce domaine n'avait plus à être démontrée. Ainsi, je n'allais pas avoir le temps de songer à ma défunte mère.
Revenons à la maison " maçon " pour dire qu'à part moi, aucun enfant n'y entrait. En tout cas pas quand papa était à la maison. Il restait Chef même pour ses enfants ! Précision : pour les autres enfants ! Pas pour moi. J'étais son chouchou.
Le Collège me donna donc le droit d'habiter dans " maçon ". Les autres enfants (grands ou petits) dormaient dans une grande annexe en matériau semi-durable jouxtant la " maçon ". Paradoxalement, je les enviais car je les entendais s'amuser la nuit en chantant ou en se racontant des histoires. Je les entendais rire. Je tirais alors la couverture sur moi pour m'endormir. Je dois avouer que, comme la majorité des enfants, j'avais le sommeil facile !
Après la visite des prêtres jésuites, mon père m'amena dans " sa " voiture, une Plymouth en 1957, à " l'hôpital congolais " de Bukavu pour faire des examens médicaux complets. J'étais en bonne santé.
Par la suite, une de mes grandes sœurs, Thérèse, élève à l'époque chez les " Sœurs " dans une école ménagère du Ruanda-Urundi eut la lourde responsabilité de m'apprendre à manger à l'européenne c'est-à-dire avec une cuillère, une fourchette et un couteau. Elle me mettait une serviette autour du coup pour que je ne me salisse pas. Je mangeais de la soupe, de la salade, des macaronis, des frites etc. et l'on m' habitua à prendre à chaque repas du pain et un dessert qui était souvent apporté de Bukavu, de chez " Devriese ", une célèbre boulangerie-pâtisserie dont la seule évocation me fait monter la salive à la bouche ! Je ne vous dis pas l'envie que je suscitais chez mes frères et sœurs, grands et petits et surtout chez les enfants de tout notre village.
Il me fallut apprendre ensuite quelques mots de français. Mon père, né " vers 1903 " et n'ayant jamais été à l'école moderne, se chargea de cette lourde besogne. Il était chef coutumier de Shangugu (Biru) et rencontrait régulièrement des Blancs dans l'exercice de ses fonctions. Il parlait avec eux " en français " ou ce qui lui ressemblait ! Il était donc le mieux indiqué à la maison pour m'apprendre la langue parlée au Collège. C'est ainsi qu'il m'apprit à dire " bonzou ", " koma ti va ". Il m'apprit aussi à dire mon nom : " Foté ". Pour clore ses enseignements, mon père m'acheta une grammaire française. Le livre avait une belle couverture cartonnée bleue et des pages en couleur. C'est tout ce que j'ai retenu de ce livre entièrement écrit en français, langue que j'ignorais parfaitement. Faut-il souligner qu'à l'époque, je ne savais lire dans aucune langue ? Cette grammaire restera dans ma chambre au Collège.
Mais revenons donc à ce fameux jour de septembre 1957.
Arrivé avec moi au Collège, mon père commença par aller voir le R.P. Moonens, Recteur du Collège. Celui-ci fit appeler le R.P. Luc Groegaert, alors préfet de l'école primaire. Ce dernier (dont je garde un excellent souvenir) me confia au R.P. Etienne Van den Straeten qui était surveillant à l'école primaire. Il m'adopta dès notre première rencontre : il me prit avec bienveillance par la main alors que mon père s'en allait. Mon père m'abandonnait ! Je me mis à pleurer doucement. Autour de moi, il y avait des dizaines de petits blancs …qui me faisaient peur. Une fois calmé, le R.P. Van den Straeten m'amena dans ce qui s'appelait " la salle de jeux des petits ".
Dans cette "salle des jeux ", il y avait bien sûr des jeux (foot de table, ping pong etc.) mais aussi de nombreuses bandes dessinées : Tintin, Spirou, Bob et Bobette, Michel Vaillant, les Schroumpfs, Lucky Luke etc. Elles étaient bien entendu écrites en français ou en flamand. Comme j'avais peur des petits blancs et que je ne parlais pas leur langue, je passais, pendant les premières semaines de mon arrivée au Collège, de longues heures dans la salle des jeux à feuilleter les bandes dessinées, à regarder leurs images puisque je ne pouvais pas lire les textes.
Ces bandes dessinées me plaisaient énormément. Il y avait dans ces albums des voitures de course, des chevaux, des enfants qui accomplissaient des faits extraordinaires. C'était vraiment un monde merveilleux. Ah, que j'aurais voulu être héros de ces aventures ! C'est de cette époque que date ma passion de la bande dessinée et d'une manière générale du livre et de la lecture.
Par la suite, j'ai su parler le français. Je n'avais plus peur des enfants blancs. Il m'arrivait même de me bagarrer avec eux et d'en battre certains ; ce qui m'a parfois joué de sales tours. Un jour, le R.P. Etienne Van den Straeten m'a tiré des griffes du grand frère d'un enfant blanc (un ami pourtant) que j'avais giflé (je ne sais plus pourquoi) et qui avait couru appeler son grand frère. Dans des situations pareilles, le R.P. Etienne Van den Straeten nous obligeait à nous demander mutuellement pardon et à nous serrer la main. Je me rappelle très bien qu'il interdisait aux enfants blancs de nous injurier en nous traitant de " nègre " ! Le petit muzungu qui le faisait devait s'excuser lorsque cela était porté à la connaissance du R.P. Etienne Van den Straeten.
Je suis de ceux qui doivent beaucoup au Collège et particulièrement au R.P. Etienne Van de Straeten. Il est difficile de dire tout ce qu'il a fait pour moi en quelques lignes d'un court témoignage comme celui-ci. C'est pourquoi je n'évoquerai ici que la passion de la littérature de jeunesse qui m'a été inculquée au Collège pour dire que je me spécialise aujourd'hui dans le domaine des Lettres option Littérature de jeunesse à l'Université du Maine en France. Domaine de recherche : la bande dessinée !
L'idée qui est la mienne en me spécialisant en littérature de jeunesse est d'amener les élèves à aimer le livre et la lecture à partir de la bande dessinée. La bande dessinée doit constituer pour eux un appât devant les amener à aimer le livre et la lecture et à maîtriser la langue française. N'est-ce pas la même méthode que le R.P. Etienne Van den Straeten a utilisée envers moi il y a 50 ans ?
Avec une telle méthode, j'obtiens d'excellents résultats dans les écoles de Kigali.
Le 21 septembre (dans moins d'une semaine), je vais soutenir à l'Université du Maine en France un mémoire de Master 2 consacré à l' " Analyse de l'enseignement/apprentissage en français de la bande dessinée au Tronc Commun-trois premières années du secondaire- au Rwanda. Etat des lieux et perspectives d'avenir ". Durant cette soutenance, je penserai bien évidemment à celui qui a mis entre mes mains la première bande dessinée : le R.P. Etienne Van den Straeten. Lui dire merci, n'est-ce pas faire pour les enfants de notre sous-région ce qu'il a fait pour moi? Dans ce cadre, j'ai envoyé en octobre 2001 au Collège une vingtaine de dictionnaires " Le Robert ".
Avant de terminer mon témoignage, je voudrais dire que le 22 novembre 1974, mon père est mort à la Fomulac/Katana dans l'indigence la plus totale. La messe d'enterrement a été célébrée par le R.P. Etienne Van den Straeten à la paroisse de Nyalukemba. Je me trouvais à Lubumbashi où j'achevais ma Licence en langue et littérature françaises. Arrivé après l'enterrement, je suis allé voir le R.P. Etienne Van den Straeten pour le remercier de tout ce qu'il avait fait pour ma famille durant cette douloureuse épreuve. Il m'a interrompu en me disant :
" Faustin, parle-moi plutôt de toi. Que deviens-tu ? ".
Ma dernière rencontre d'avec le R.P. Etienne Van de Straeten date d'octobre 2004 comme je l'ai écrit au début de ce témoignage.
La première montre le R.P. Etienne Van den Straeten entouré de trois anciens du Collège (de gauche à droite : Byusa Alphonse, Gakwavu Jean et moi-même).
La seconde montre le R.P. Etienne Van den Straeten entouré de mon épouse et de moi-même. Nous étions tous très heureux d'être ensemble comme vous allez le constater. J'ignorais que c'était notre dernière rencontre. Heureusement que "ce n'est qu'un au revoir" !
Je termine en souhaitant que nous puissions tous (nous, anciens élèves du Collège) nous inspirer de la vie et de l'œuvre du R.P. Etienne Van den Straeten pour nous aimer les uns les autres. Si nous, collégiens, nous donnions à nos compatriotes respectifs cet exemple d'amour et de fraternité, ne serait-ce pas un début de Paix dans nos pays et dans notre sous- région ?
Je serai en Belgique le 22 septembre pour trois semaines. Je contacterai le R.P. Alain Delville sur notre site afin de prendre rendez-vous avec lui pour voir la cassette vidéo des 50 ans de sacerdoce du R.P. Etienne Van den Straeten. Je viendrai voir cette cassette accompagné d'un vieil ami, Pierre Gaillard, âgé aujourd'hui de 74 ans. C'est un ancien du Collège des années …1943-1947.
Continuons à vivre toujours ensemble dans le souvenir de feu R.P. Etienne Van den Straeten qui nous a été tous cher. Paix à son âme !
Fraternellement.

Kigali, le 15 septembre 2006
Faustin RWAMFIZI Nyangezi