Les demandes
d'admission continuaient à affluer, Mais la place disponible
restait limitée, car le chantier luttait avec moultes
difficultés: le ciment n'arrivait pas, le fer à
béton etait introuvable, les barges de sable étaient
en retard, la disette dans le pays posait un grave problème
de ravitaillement. Parfois, un détail suffisait pour immobiliser
une grande partie du chantier; ainsi, il fallait des niveaux
d'eau pour nos quelque cinquante maçons. . . Où
les trouver ? Le P. Recteur cherchait, voyageait, écrivait,
télégraphiait... jusqu'à en perdre son sang-froid.
(1 )
Le corps professoral,
hétérogène au possible, grandissait avec
le nombre d'élèves et de classes. Pères
Blancs. Jésuites, Dames, Messieurs, une Demoiselle : douze
en tout pour dix classes. Nos "poètes" regardaient
de bien haut les moutards de 9e et de 10e qui s'amenèrent
du pensionnat après les vacances de Pâques 1944.
Il y avait 133 internes et 69 externes. La question des livres
scolaires devenait de plus en plus épineuse. Certaines
éditions de Tite-Live, de Virgile, de César étaient
de véritables pièces de musée, dénichées
au fond des bibliothèques. Des éditions très
variées avec des textes aux variantes les plus variées.
Le professeur y perdait parfois son latin. Et dans les classes
primaires, c'était pire parfois: on n'avait rien. Devant
cette pénurie de livres, on s'est mis à polycopier
des volumes entiers. Des mètres cubes de papier ont passé
par la rotative sous l'oeil vigilant et la main habile du P.
Cauwe. "Il y a ce qu'il y a, et il faut ce qu'il faut..."
, a dit quelqu'un. (2)
L'histoire
du Collège des années de la guerre serait incomplète
si on passait sous silence une figure des plus sympathique d'alors.
Les élèves l'appelaient le "Broeder"
le Frère De Mérechy. Il était costaud, malin,
pieux, habile et fort. Il était à ses heures, forgeron,
plombier-zingueur. électricien, mécanicien, infirmier,
sacristain, organiste et même gymnaste. Ceux qui l'ont
connu, savent si j'exagère. (3).
"Le sixième
jour de mai" 1944 le Broeder n'avait plus qu'à tourner
quelques interrupteurs et l'on avait l'électricité
à travers toute la maison. Jusqu'à ce moment on
se servait des lampes "Colman", à part quelques
lampes d'étude alimentées par un petit " Delco
". Le spectacle en valait la peine quand les rangs défilaient
à travers les vérandas avec leurs lampes. Une scène
de catacombes... (4)
Alors le Frère
s'y met: avec une habilité d'ingénieur, il élabore
un plan détaillé du système électrique
pour tout le collège, un vrai labyrinthe sur papier. Puis,
avec son adresse réputée et son acharnement de
Flamand robuste, il installa le tout en un temps record. Durant
des semaines on l'entendait chanter sous les tôles, où
il plaçait le réseau de fils qu'on peut encore
y voir. Les sceptiques disaient. "Cela ne marchera pas".
Un seul accroc lui est arrivé, ou plutôt à
son boy. Ce brave noir n'avait pas réalisé la faible
résistance des plaques d'éternit. Dans un moment
d'inattention sans doute, il se mit dessus et... se retrouva
sur le dur pavé du premier étage. Heureusement,
sa constitution était bien forte, car il parvint encore
à se relever et, quelques semaines après, il avait
déjà oublié ses contusions. (5) Enumérer
toutes les activités du Frère nous mènerait
trop loin, mais les anciens se rappeleront encore toute la musique
qu.il faisait sortir de son harmonium minuscule... Pendant des
années il a été notre organiste. (6) |